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02.07.24
Archi / Design
LISAA Architecture d’intérieur & Design Paris

Retour sur le voyage en Inde des étudiants Internationaux de LISAA Archi & Design Paris

En avril, les étudiants du cursus international de LISAA Archi & Design Paris ont eu la chance de faire un voyage en Inde, sure le site de Kochi (Kerala). Nous sommes allés à la rencontre d'Hélène Thébault, Responsable Pédagogique.

Pouvez-vous nous parler de votre rôle de responsable pédagogique du cursus international chez LISAA Architecture d’intérieur & Design ?

J'ai rejoint l'équipe pédagogique de LISAA Paris - Architecture d'Intérieur & Design il y a un an et je suis responsable du cursus international. L'école dispense un cursus d'études en 5 ans, menant au titre d'architecte d'intérieur - designer, et ce cursus est accessible en langue française et en langue anglaise, dans son intégralité. Cela nous permet d'accueillir des étudiants anglophones de diverses nationalités dès la 1ère année, ce qui est assez rare en France, a fortiori en arts appliqués.

D'où vous vient votre passion pour l'Inde ?

Je ne sais pas si j'ai une passion pour l'Inde mais il est certain que j'y suis intimement attachée ! J'y ai vécu pendant 8 ans ; j'y ai fait une partie de mes études en design, puis j'ai travaillé en tant qu'indépendante sur des projets d'architecture, d'architecture intérieure, puis de design graphique dans un contexte de création artistique autour de l'auto-édition et la photographie. J'ai également enseigné dans différentes écoles de design indiennes et tenu un rôle de responsable pédagogique pendant plusieurs années, dans le cadre d'une coopération académique entre l'Inde et la France.

J'ai ainsi vécu dans plusieurs des très grandes villes de l'Inde, à New Delhi, Pune, Ahmedabad, Bangalore, mais j'ai aussi passé beaucoup de temps dans la région du Ladakh, qui est un désert de haute altitude à l'extrême nord du pays, dans la partie indienne de la chaîne Himalayenne.

Quel était l'objectif principal de ce voyage pour les étudiants du cursus international ?

Durant ce voyage, il s'est agi avant tout d'ouverture et d'observation, l'objectif pédagogique principal étant d'inviter les étudiant.es à embrasser une posture volontairement "ignorante" face à un environnement inconnu, pour mieux apprécier la valeur des premières impressions et observations, et l'importance de formuler les bonnes questions, surtout les plus simples, pour ne rien présupposer et permettre ainsi une étude empathique et critique des environnements, situations, objets, etc. En effet, la déconstruction des présuppositions et biais est une compétence-clé du designer.

Kochi (Kerala, Inde) a été identifiée comme site pour ce voyage d'étude pour sa longue et riche histoire en tant que lieu d'échange économique et culturel. Kochi était un port commercial important sur la route des épices et les relations commerciales que son port a connues remontent à l'Ancienne Egypte.

Les fameux "Chinese fishing nets" de Kochi, employés quotidiennement à ce jour pour la pêche, témoignent quant à eux des relations très anciennes entre l'Inde et la Chine. Ainsi l'essor de la consommation de sucre en Inde résulte de ces échanges avec la Chine, il est intéressant de noter que le mot Hindi pour sucre est cheenee, soit "chinois". Il en va de même pour la cultivation du riz dans cette partie de l'Inde, dont l'alimentation de base reposait auparavant essentiellement sur la consommation de légumes racines.

©Credits photos : Erik Lundgren

Et bien entendu, ce sont les épices et notamment le poivre du Kerala, surnommé "black gold" lorsqu'il valait son pesant d'or, qui ont ensuite participé à motiver les grandes expéditions maritimes depuis l'Europe vers l'Inde des Portugais d'abord, puis des Compagnies des Indes Françaises, Néerlandaises, menant ensuite à la colonisation de l'Inde par l'Empire Britannique.

Le thème central du voyage a ainsi reposé sur l'étude de la nourriture : habitudes alimentaires, recettes, ingrédients, agriculture, rituels, etc. L'étude approfondie d'un repas a ainsi permis de tirer des enseignements au niveau macro sur l'histoire, la géopolitique, les études climatiques, les études sociales et économiques, les systèmes de croyance, la culture, l'art, la santé, etc.

D'après vous, pourquoi l'approche interculturelle est-elle essentielle pour les futurs professionnels du design et de l'architecture ?

Nous vivons dans un monde largement globalisé, et au travers de la visite et l'étude de Kochi, nous comprenons à quel point le processus de globalisation du monde est ancien, et repose sur de multiples échanges culturels, économiques et politiques qui continuent de modeler les façons d'habiter le monde. Par exemple, quand on pense à la cuisine indienne, on pense notamment aux piments, les chillis, qui ont leur place non seulement dans les cuisines mais aussi dans certains rituels religieux. Pourtant, les chillis ne sont pas originaires de l'Inde mais de l'Amérique Centrale, et sont arrivés en Asie du Sud-Est  avec les colons Européens au 15e siècle.

En ce sens, je suis davantage intéressée par la transculturalité - l'un des Arts de la Zone de Contact (Mary Louise Pratt, 1991) - que par l'interculturalité. Les échanges étant multiples, interdépendants, multidirectionnels et dynamiques.

Pour le designer, l'approche transculturelle est ainsi une posture d'ouverture, de curiosité et d'échange nourrissant la créativité et l'empathie, toutes deux essentielles au dessin d'avenirs souhaitables. C'est aussi une question de responsabilité : on ne peut ignorer les rapports de domination qui continuent d'ordonner ce monde globalisé et le design transculturel est ainsi attentif aux spécificités d'un contexte donné (pratiques, ressources, problématiques, etc.) déconstruisant la présupposition que le modèle dominant, soit nécessairement le modèle à suivre. Cette approche ne concerne pas seulement les contextes internationaux mais éclaire aussi les rapport centre-périphéries, national-régional, tradition-modernité, bâti-nature, etc.

Pouvez-vous nous parler de la collaboration entre les étudiants et les communautés locales pendant le voyage ? Quels enseignements en ont-ils tirés ?

Nous avons eu la chance d'être guidés par The Kochi Heritage Project dans notre visite de Kochi avec une première visite commentée de son histoire, depuis le port antique et englouti par la mer de Muziris jusqu'à la Kochi d'aujourd'hui, capitale mondiale d'art contemporain avec sa biennale, justement nommée Kochi-Muziris Biennale. Le collectif a attiré notre attention sur les différents marqueurs des influences chinoises, arabes, gréco-romaines puis europpéennes qui teintent le bâti, la cuisine mais aussi le langage de Kochi et du Kerala par extension.

Une seconde visite avec le collectif dans les backwaters de Kadamakudy nous a permis d'en apprendre davantage sur les systèmes et pratiques alimentaires, l'économie et le climat du Kerala, grâce à la rencontre de différents acteurs et habitants de ces multiples îles des backwaters.

Nous avons également rencontré un prêtre chrétien orthodoxe et sa communauté lors de notre visite de l'église St George, construite par l'architecte Keralais Vinu Daniel (Wallmakers), que nous avons également eu le plaisir de rencontrer un après-midi pour une discussion de groupe passionnante sur sa façon de travailler avec son équipe, avec les matériaux naturels, illustré par des parallèles entre le processus de création en architecture et en musique.

Des rencontres variées et inspirantes pour nous tous !

Auriez-vous quelques anecdotes ou expériences marquantes vécues par les étudiants ?

Les étudiants ont également interagi avec différentes personnes de façon autonome au cours de leur étude. Le groupe qui a travaillé sur la pêche et les produits de la mer ont eu la chance de rencontrer des pêcheurs particulièrement patients et désireux de faire une démonstration par l'expérience du fonctionnement des filets de pêche traditionnels (Chinese fishing nets). Les étudiants ont ainsi donné de la force de leur bras pour aider les pêcheurs à remonter le filet, et ont été récompensés une petite heure plus tard par la dégustation de leur dur labeur ! Sans doute le poisson le plus frais et savoureux qu'ils aient jamais mangé !

Comment ce voyage a-t-il contribué au développement personnel et professionnel des étudiants ?

Mon sentiment est que ce voyage a été vécu comme une parenthèse, un temps de contemplation suspendu, et les étudiants, même s'ils se connaissent car étant dans la même classe, s'en sont retrouvés liés durablement. Chacun était toujours volontaire, enthousiaste et curieux, et la chaleur humide nous a poussés à ralentir notre allure, à observer longuement, à échanger et débattre le soir venu. C'est l'expérience que je souhaitais partager avec eux : l'importance de prendre le temps, de prendre en compte ses premières impressions, d'observer, d'étudier, pour les contredire ou les renforcer, ainsi que l'importance de connaître et définir sa posture, sa positionnalité, en tant que designer dans une contexte donné, et enfin les rapports entre design et culture.

Selon vous, quels sont les atouts du cursus international de LISAA Architecture d’intérieur & Design ?

C'est donc la diversité des cultures, des nationalités et des parcours des étudiants et des enseignants du cursus international qui en font sa richesse. La posture transculturelle est ainsi facilitée car vécue quotidiennement, elle vient renforcer les compétences et les motivations des futurs architectes d'intérieur - designers qui apprennent à concevoir dans un contexte ou il n'y a jamais une seule façon de faire, de penser, de percevoir.

Quels conseils donneriez-vous aux étudiants qui souhaitent s'engager dans des projets internationaux ou interculturels dans le domaine du design et de l'architecture ?

Faites-le ! :)

Je ne peux que l'encourager bien entendu, mais il faut bien réfléchir à ses motivations et sa positionnalité, et il faut comprendre que celle-ci ne relève pas uniquement d'une posture personnelle mais qu'elle s'inscrit dans un contexte plus global.

Aussi, il faut accepter de se perdre, et, je pense, ne pas attendre de résultats : c'est une démarche exploratoire, une question ouverte.

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